
Particularité de l’ouvrage : la page de gauche c’est un récit classique, qui commence à la disparition de la jeune, la découverte de son corps, l’arrestation du curé, et son interrogatoire. Un récit à plusieurs voix, fluide, et déjà très bien écrit.
La page de droite est uniquement composée du monologue intérieur du curé. La mise en page est faite de manière à ce que sa pensée soit mise en face du moment décrit et vécu sur la page de gauche.
L’écriture de cette partie est impressionnante, on « entend » la voix du curé, des pensées où s’exposent l’obsession, la folie, la foi corrompue, les traumas de l’enfance…
Au départ la gymnastique entre les deux parties peut sembler laborieuse, mais cela s’avère très fluide et met parfaitement en perspective le récit. .
Cette histoire est fascinante et troublante, l’auteur, par ce double récit, questionne le choix (ou non) de la prêtrise, l’obligation au célibat, la foi qui sombre dans un fanatisme déconnecté de l’étique humaine. Il est saisissant de voir se dérouler les mécanismes de la folie meurtrière, ses justifications sincères et complètement azimutées.
En sous-texte, sans aucune plaidoirie, on lit aussi les erreurs de l’église, qui préfère camoufler et déplacer le problème plutôt que l’affronter. Car le curé avait eu d’autres comportements problématiques ailleurs. Il a juste été comme « mis au placard » mais jamais consulté, jamais traité, jamais retiré de ses fonctions.
Évidemment, cela fait fortement écho avec tout ce qui se passe et se dévoile aujourd’hui : Abbé Pierre, Bétharam… L’abus de pouvoir, la maltraitance, la folie dû à un ego à la fois meurtri et à la fois démesuré par le positionnement d’autorité, et « la voix de dieu » dont le curé est le véhicule.
Un livre vraiment impressionnant dont on ne ressort pas tout à fait indemne.
Les éditions du chemin de fer (avril 2025)
On sait peu de choses d’Hubert Gonnet, né en 1924 dans une famille bourgeoise éclairée du nord de la France. Réfractaire au S.T.O., il entre dans la Résistance puis, au sortir de la guerre, poursuit, “par devoir” dit-il, des études de droits, de psychologie ensuite. Après une tentative de théâtre concret révolutionnaire, il se consacre à la littérature. Son premier roman, Karl, est la première œuvre publiée par Maurice Nadeau dans sa collection “Les lettres nouvelles” chez Julliard, en 1953. Suivent six autres romans, tous bâtis sur une structure narrative étonnante et novatrice. Ainsi Faire le Jacques en 1961, plus de dix ans avant Perec, décrit la vie des habitants d’un immeuble étage par étage. Voyage au Strömland, son dernier roman publié en 1969 chez Éric Losfeld est une réécriture des Chants de Maldoror. Hubert Gonnet renonce à publier après 1969 et part mener une vie de paysan berger dans l’Aveyron. Il meurt en 1994.
Toute son œuvre, empreinte de radicalité et d’avant-gardisme, suit un sillon singulier, hors d’amitiés ou de filiations littéraires évidentes, ce qui l’a sans doute voué à changer d’éditeur de livre en livre (le premier: Maurice Nadeau, le dernier: Eric Losfeld, excusez du peu) et finalement à renoncer à la publication, mais pas à l’écriture…