L’Equipe de la Librairie Maruani

Nicole Maruani La Fondatrice 

Pendant plus de vingt ans, Nicole Maruani aura été l’âme de la librairie qui porte son nom. Comme elle le confie d’emblée, « née sous le soleil méditerranéen de Sousse, en Tunisie, elle a toujours eu envie de reproduire la vie qu’elle avait connue là-bas. ». D’où son sens de la convivialité, son intérêt pour les autres et son sourire « hérités d’une enfance heureuse et d’une belle éducation » …

Pour autant, sa vie ne fut pas toujours un chemin de roses … En effet, l’Histoire réserve parfois de bien mauvaises surprises, comme en cette année 1962 où les événements contraignent sa famille à venir s’installer en métropole. « Nous n’avions plus rien, se rappelle-t-elle, au point que j’ai dû arrêter mes études et suivre une formation de secrétariat chez Pigier pour trouver du travail ». Plus facile à dire qu’à faire, surtout quand on vous fait bien sentir que « vous êtes tunisienne, juive de surcroît et que vous n’êtes pas chez vous !

Mais Nicole ne cède rien. C’est sa marque de fabrique. Elle résiste, encaisse, endure. Ce qu’elle souhaite, c’est d’abord s’intégrer, d’autant que la liberté d’expression en métropole est grisante. « J’y voyais, dit-elle, comme une chance supplémentaire ». D’où la reprise de la scolarité qui doit l’amener à faire médecine. Seulement, voilà, une fois de plus les choses ne se passent comme prévu.

C’est le moment de se marier et d’avoir des enfants, – Katia et Bruno -, « ce qui l’oblige à arrêter ses études.  « Néanmoins, ajoute-t-elle, je ne me laissais pas aller. »

Elle a alors une vie bien remplie entre ses obligations de maman, son besoin de s’occuper des autres et ses envies de culture. Liée amicalement avec une artiste qui lui ouvre le Paris des intellectuels et des artistes, son existence c’est aussi la musique, la littérature, les expos de peinture. « Je vivais cette autre vie avec intensité. Je rencontrais des artistes, je posais pour des sculpteurs. » Tout en continuant à soutenir son mari qui tenait une teinturerie dans l’îlot 4, à quelques pas du boulevard Vincent Auriol, composé de quelques boutiques, dont une librairie.

« On s’est alors aperçus, raconte-t-elle, que cette librairie, qui faisait de la presse, attirait pas mal de monde. » Aussi, quand le propriétaire lui annonça qu’elle allait fermer, Nicole lui proposa-t-elle de s’associer avec lui pour la relancer. « C’était d’autant plus cohérent que les Messageries nous y encourageaient … ».

C’est l’heure des choix. Nicole s’endette, hypothèque son appartement et le commerce. « Une période difficile, se rappelle-t-elle. Je ne parvenais pas à joindre les deux bouts. » Mais heureusement, la famille la soutient, et elle-même comme elle le dit, est « une résistante. »  Si bien qu’en 2001, après moult aléas, angoisses, difficultés en tous genres, elle finit par venir s’installer sur le Bd Vincent Auriol.

De ce jour, tout change. « J’avais de l’espace et pignon sur rue. Et tout ce qu’il faut pour créer le lieu de vie dont je rêvais, où je pourrais donner aux gens l’envie de découvrir des livres. » Depuis, elle accueille les clients, est à leur écoute. Un peu comme une psy. « Chez ceux qui entrent dans la boutique, je sens quand il y a de la peine, des difficultés ou de la souffrance. Je peux alors leur apporter un peu de réconfort. »  

En fait, comme elle l’exprime avec une joie un peu teintée de nostalgie, elle reboucle avec l’esprit de son enfance en Tunisie et les beaux idéaux que lui a communiqués son père : l’amour de la liberté, une morale de vie, le respect des autres, la compassion pour la misère humaine et le culte du travail et de la résistance. « J’avais envie de revivre un peu ce que je vivais adolescente en Tunisie entre chaleur et lumière. »

Malheureusement, la vie se montre à nouveau peu clémente… Son mari est victime d’un AVC ce qui remet tout en question. « J’ai pris conscience que les aléas de l’existence nous forçaient toujours à nous dépasser davantage. »

Elle met alors la librairie en vente. « Je voyais défiler des acheteurs qui souhaitaient monter des restaurants, des kebabs, un magasin de lunettes, etc. Cela ne correspondait pas à mon désir de voir perdurer le lieu de vie que j’avais créé. Un endroit où l’on soit heureux… ».

C’est alors que Katia lui propose de reprendre le fonds et de travailler avec elle. « Pour moi c’était évident. Ce devait être elle. C’est mon héritière. On se ressemble beaucoup ».

Alors que Katia a désormais repris les rênes de la librairie, Nicole ne tarit pas d’éloges à son égard. « Je suis fière d’elle. Elle s’est glissée dans l’affaire comme dans un gant. Elle est mon relais, celle qui amène la modernité, la communication, le numérique. Elle a fait décupler l’activité. Les clients l’apprécient de plus en plus. Elle est disponible pour eux. Je suis également tellement heureuse de l’avoir maintenant auprès de moi, de l’avoir redécouverte, faite de rigueur et de méthode… »

Aujourd’hui, pour Nicole, c’est l’heure de passer le relais et, comme elle le dit avec une certaine gourmandise, « de se consacrer à la réalisation de nouveaux désirs ». Le moment aussi de se retourner sur l’œuvre accomplie et de se dire que son combat pour que vive ce lieu n’aura pas été vain.

Katia Maruani-Bijaoui La fille nouvellement dirigeante 

Désormais, la librairie Maruani a changé de propriétaire. Mais quelle importance au fond, puisque c’est Katia, la fille de Nicole qui en a repris les rênes ?

Comme on dit l’affaire reste en famille. La preuve, Katia a voulu que le prénom de sa mère soit inscrit dans le logo de la librairie. Comme le symbole d’une filiation forte et évidente … Et d’une reconnaissance pour l’œuvre accomplie.

Le passage de témoins s’est opéré en douceur. En 2016, alors que Nicole cherche une collaboratrice, elle en parle à Katia qui se propose d’assurer cette responsabilité. Enthousiaste, sa mère accepte. Rien d’étonnant à cela. Les destins réciproques d’une mère et de sa fille sont souvent profondément imbriqués.

Depuis toujours, Katia connaît intimement l’histoire de la librairie, liée à celle du quartier du Château des Rentiers. Comme sa mère, elle est porteuse d’une partie de cette histoire, a vécu sa mutation, avec son lot d’émotions parfois enthousiasmantes, parfois tristes.

Chez nous, dit-elle, « l’éducation, assez stricte au demeurant, s’appuyait sur des valeurs fortes. Le respect des autres, du travail, d’une certaine rigueur morale. Ainsi armés on pouvait résister ».

Vient le temps de passer son bac de français … Hospitalisée à la Salpêtrière, elle le prépare alors sur un lit d’hôpital. C’est déjà une lectrice accomplie grâce à un professeur de français qui lui a inoculé l’amour de la littérature en CM2 et « qu’elle a retrouvé tout récemment à la librairie. » Elle se passionne alors pour les œuvres de Stephan Zweig mais aussi de Maupassant, et de bien d’autres …

À 18 ans, le bac en poche, son univers géographique s’agrandit. Après avoir travaillé chez Nina Ricci pour payer ses vacances, elle part à Cannes avec trois copines.

C’est l’aventure, mais aussi le temps d’une autre révélation. « À cette occasion, j’ai découvert la superficialité des rapports entre les gens, et cette sorte de hiérarchie sociale factice uniquement fondée sur le fait qu’on ait de l’argent ou pas ». Mais cela n’altère en rien ces propres convictions, héritées de son éducation. Comme elle le dit « Il n’y a pas que l’argent qui compte… »

De retour à Paris, elle entre à la faculté de droit, même si au fond « elle aurait préféré faire architecture ». Autres mœurs, autres copains. Elle sort beaucoup, s’enivre de cette nouvelle liberté. Résultat, elle rate la première année. « J’en ai été très vexée, avoue-t-elle, déçue aussi ».

Du coup elle se ressaisit, même si elle garde en elle « le sentiment de ne pas être toujours à la hauteur ».

Katia a un objectif. Elle veut décrocher un job dans la promotion immobilière, ou bien dans une collectivité territoriale, voire dans une entreprise. Pour cela, il faut acquérir encore quelques diplômes supplémentaires. Maîtrise de droit des affaires, DESS en droit immobilier puis DESS en urbanisme … avec en prime cette fois-ci, le coup de foudre avec Olivier, déjà chef d’entreprise ! Cette fois-ci, pas question de tergiverser. « C’était le bon ! » se souvient-elle avec émotion.

Avec lui, enfant du quartier lui aussi, adoubé par ses parents qui le connaissaient bien puisqu’il logeait en face de la teinturerie, Katia sait que tout devient possible. C’est l’heure des impatiences, des rêves et des déclarations, puis de la vie commune et enfin du mariage en mai 1994.

C’est aussi le départ pour une nouvelle aventure. Entre l’éducation de leurs enfants et l’engagement professionnel au sein de WFS, la société de son mari, où elle s’occupe de la gestion immobilière et des constructions puis de la Fondation d’entreprise, Katia met en musique les valeurs sur lesquelles a toujours reposé sa vie : engagement, responsabilité et altruisme, au travers d’initiatives et de projets de formation et d’insertion sociale jusqu’en 2016.

Pour elle, c’est alors la période des interrogations et des doutes. Que faire ?  Dans quoi s’investir ? Comment redonner du sens à son besoin d’engagement ?

Toutefois, le hasard faisant bien les choses, ses doutes s’estompent très vite. En effet, il est encore un endroit où elle peut s’engager, la librairie de sa mère, laquelle accepte de passer désormais le témoin.

Dès lors tout s’accélère. Habitée par son projet, soutenue par Olivier, pleine d’idées nouvelles, Katia s’implique. Elle revoit le système informatique, réorganise la gestion, développe la restauration. Comme elle le dit avec fierté, « Je suis devenue chef d’entreprise, avec la profonde détermination d’innover tout en conservant l’esprit de l’endroit initié par ma mère. »

Aujourd’hui, à nouveau réunies, fières l’une de l’autre, mère et fille travaillent de concert au développement de la librairie.

Tout cela, évidemment, pour le plaisir des lecteurs qui peuvent jouir à la fois de l’expérience de l’une et des espérances de l’autre.  

Isabelle Verlingue libraire mordue de littérature américaine, de science fiction et de bandes dessinées 

S’agissant d’Isabelle, on pourrait dire que tous les chemins mènent à la librairie Maruani quand on voit ceux qu’elle a empruntés, avant d’y faire sa place, en 2014.

Originaire de la Drôme, elle retient surtout de son enfance la vie au grand air, les balades en forêt, ses chiens, les compagnons de son quotidien, et enfin la solitude. « Je me rappelle qu’on regardait la télévision, Dorothée, Dragon Ball, Olive et Tom, mais également, sous l’impulsion de ma mère, qu’on lisait énormément ».

Et puis, la grande ville l’appelle. La voici donc qui prend son indépendance dès sa terminale au lycée de Valence. C’est l’expérience de la colocation, des amis, de l’ouverture aux autres.

Son bac en poche, la voilà partie à Aix-en-Provence, où elle suit une formaion Arts du Spectacle, spécialisation théâtre

Elle passe un DEUST puis une licence dans la section théâtre contemporain. « Je voulais travailler dans la mise en scène, et si possible sur des auteurs éloignés du répertoire classique, comme Garcia Lorca, Koltes, Ibsen, Bourdieu, Lacan…etc. ». .
« Toutefois, dit-elle, j’ai senti très vite que je n’avais pas le talent nécessaire pour envisager une carrière ! ». Cela impliquait également trop de faux-semblants, de superficialité, et in fine de se perdre soi-même…

Mais là encore, Isabelle comprend qu’elle n’a pas l’envie d’assumer des relations humaines compliquées et surtout la précarité. « J’étais en attente de concret, de vrai, et je ne voulais pas dépendre, des aides et des autres ». Elle veut un salaire.

Période charnière, « À la croisée des chemins », comme elle la définit elle-même. Finalement, elle décide de travailler, « plutôt que de passer son temps à théoriser».

Après divers petits boulots, la voilà engagée à Marseille chez un grossiste d’équipements de plage où elle reste une année, en colocation avec sa compagne. Mais il faut penser à l’avenir et ce travail alimentaire et épuisant physiquement n’est qu’une étape. Isabelle réagit et repart de zéro. « Je me rendis alors à Lyon où j’avais repéré une formation au métier de libraire ».

L’occasion d’apprendre tout ce qu’on doit savoir sur le sujet : circuit du livre, mises en place, relation aux clients. Elle s’y consacre avec passion, certaine que « c’est cela qui va la mener au concret. »

Puis, comme Marseille l’appelle à nouveau, elle y redescend et y cherche du travail. Elle se rend compte que « ce qu’elle a acquis en formation lui sert vraiment. »

Puis, l’amour la mène à Rouen. À nouveau les petits boulots, jusqu’à ce qu’elle trouve une place d’hôtesse de caisse chez UGC pour deux ans, ce qui l’oblige à nouveau à se mettre en quête de travail. « Je cherchais surtout à être embauchée dans une librairie, pour valoriser mes acquis ».

Cette quête l’amène à Paris, chez Virgin. « Une belle et heureuse expérience qui aura duré cinq ans, confie-t-elle. J’étais heureuse, je rencontrais beaucoup de gens issus de milieux différents ».

Mais voilà que la situation économique se détériore. Virgin ferme. Isabelle rentre alors « en résistance » avec d’autres. Elle manifeste, jusqu’à ce qu’on leur accorde à elle et ses collègues, indemnités, primes et formations.

Elle choisit alors de se perfectionner en anglais, lorsqu’une annonce l’amène à la librairie Maruani pour un entretien avec Nicole. « J’ai tout de suite accroché, dit-elle. La personnalité de Nicole me plaisait ainsi que le concept de librairie-café. Le lieu m’apparaissait très vivant et offrait la possibilité de s’occuper de plein de choses différentes en même temps. Je voyais avec plaisir les gens venir à la libraire, pour discuter, échanger, voire se confier. »

Emballée, Isabelle s’implique aussitôt, même si cela lui demande de sortir de sa réserve naturelle. Elle y apprend à être plus ouverte, spontanée, en phase avec les autres. « Je me sens bien ici » dit-elle.

Alors bien sûr subsiste une pointe de regret, celui de ne pas avoir assez de temps libre. Mais cela est largement compensé par le plaisir de lire, de critiquer les ouvrages et de conseiller aux clients.

Tout ce dont elle rêvait depuis ses premières lectures …